Football Leaks: les dossiers noirs de Gianni Infantino
Le mardi 21 février 2017, le président de la Fifa, Giovanni Vincenzo Infantino, surnommé « Gianni », doit s’entretenir avec Donald Trump. L’échange s’annonce si délicat que l’agence américaine de relations publiques de la FIFA lui écrit un script précis mentionnant comment il doit s’adresser à Trump : « Appelez le président “Mr. President” ou “Président Trump”. »
Tout doit débuter par un compliment : « J’admire l’attention et l'énergie que vous avez déployées au cours des premières semaines de votre mandat – votre concentration sur le fait d'agir et de faire avancer les choses. » Pour ensuite en venir à l’essentiel : « En tant que président de la FIFA, je voudrais saisir cette occasion pour vous dire que les États-Unis sont le meilleur endroit pour la prochaine Coupe du monde pas encore attribuée, en 2026. »
C'est le Parlement de la FIFA qui se prononce normalement sur les candidatures. Pas le président. Et le vote ne doit se tenir qu’un an plus tard. Mais faire des promesses à Trump ne mange pas de pain, à moins, bien sûr, que l’intervention ne soit rendue publique. Mais comment Gianni Infantino pouvait-il s’imaginer que les Football Leaks le rattraperaient et révéleraient cet interventionnisme politique d’arrière-cour, qui plombe régulièrement les processus d’attribution des grandes compétitions sportives ?
Cette note a été découverte par Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC) dans les Football Leaks, obtenus par Der Spiegel. On y trouve des milliers de documents issus de la FIFA que Gianni Infantino et ses proches auraient voulu garder secrets : courriers électroniques, mémos, contrats… Les journalistes de l’EIC ont également interrogé une douzaine d'experts et d'initiés, dont plusieurs employés de longue date de la FIFA.
Cette semaine, Infantino a voulu précéder nos révélations et a commencé à se défendre. Il a déclaré que la FIFA avait été victime d’un piratage informatique et que « certaines informations avaient été obtenues illégalement ». Il a aussi tenté de se justifier au vu des questions que nous lui avions posées : « Mon travail consiste à discuter, avoir des conversations, échanger des documents, des brouillons, des idées, peu importe, sur beaucoup de sujets. Sinon, vous n’allez nulle part. Si je dois juste rester dans ma chambre et ne parler à personne et ne rien pouvoir faire, comment puis-je faire mon travail correctement ? Cela peut être présenté comme quelque chose de négatif, mais je ne peux pas faire plus que mon travail de manière honnête, professionnelle, en défendant les intérêts du football. »
Auparavant, la FIFA avait répondu à certaines de nos nombreuses questions (à lire dans l’onglet Prolonger). Souvent de façon assez vague. Sur cet échange avec Trump par exemple, elle ne dément pas cette conversation, mais précise que « le président de la FIFA n'a rencontré les autorités politiques des États-Unis qu’après l’attribution de la Coupe du monde 2026 ». Pour la FIFA, « il est tout à fait normal que (son) président ait des contacts avec les chefs d’État et de gouvernement. Ce processus de candidature restera probablement le plus juste et le plus transparent de son genre dans l'histoire du sport ». Pour cet épisode comme pour les suivants, le lecteur jugera.
Si nous avons mis tant d’énergie à dévoiler les dessous de cette institution, c’est parce qu’elle a, depuis longtemps, dépassé les frontières du sport. Lors d’un autre échange avec le président Trump, au sujet cette fois de la Coupe du monde en Russie, Infantino lâche le chiffre qui tue : « Plus de quatre milliards de téléspectateurs ! » Qui dit mieux ? Une telle force de frappe donne accès aux personnes les plus puissantes de tous les continents.
Trump, Poutine, le secrétaire général des Nations unies, le président d’UBS, le pape… Les documents Football Leaks montrent que personne ne refuse une bouffe ou une rencontre à « Monsieur 4 milliards ». La question est dès lors : que fait Gianni Infantino de ce pouvoir ?
Le 26 février 2016, tout juste élu, il promet : « Le monde entier nous applaudira pour ce que nous ferons de la FIFA. » Infantino garantit aux représentants des fédérations de leur distribuer beaucoup plus d’argent à l’avenir. Et dans le même temps, il exige la « tolérance zéro » vis-à-vis de la corruption et des mauvais gestionnaires.
Il ne s’oublie pas : « Le président de la FIFA doit toujours montrer l’exemple. » Quant à l’institution, elle doit tout simplement devenir « l’institution sportive mondiale la mieux gérée. Point. » Gianni Infantino promet tout à tout le monde. Il va faire plus, mieux, et plus proprement – ce qui, sur ce dernier point, n’aurait pas dû être trop difficile.
Les documents Football Leaks révèlent que ces promesses sont un mirage. Question exemple, Gianni dispose à la FIFA d’une Mercedes Classe S, d’une Audi Q7, d’un SUV Hyundai et de deux chauffeurs. « D’ordinaire, je prends des vols réguliers », a-t-il assuré. Dans les mails issus des Football Leaks, l’agence de voyage se plaint du fait qu’Infantino demande sans cesse des jets privés. Six appareils ont dû être affrétés rien qu’en décembre 2017. Il y en a eu pour 47 000 euros pour un vol Zurich-Koweit, ou 58 000 euros pour un Genève -Riyad-Dubai.
Publiquement, Infantino s’émerveille de son programme de distribution de 1,4 milliard de dollars ? Auprès de ses proches, il évoque un « échec absolu ». Officiellement, il réclame une totale indépendance pour les gardiens internes de la probité ? En réalité, il participe à leur perte de pouvoir. Dans ses discours, il souligne que le football doit rester à l’écart de la politique ? Il s’implique dans un accord géostratégique à 25 milliards d’euros qui le lie à l’Arabie saoudite. Dans sa communication, il annonce que le président donnera l’exemple. Dans les faits, il procure des billets très convoités pour la Coupe du monde et la Ligue des champions à un procureur suisse qui lui a accordé des faveurs.
Le projet majeur d’Infantino, une « faillite absolue »
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