JusticeViol sur mineure à Tifelt: l’opinion publique scandalisée, Ouahbi réagit
La chambre criminelle du tribunal de Rabat a condamné, le 20 mars dernier à deux ans de prison, trois hommes accusés du viol répétitif survenu à Tifelt, d'une fillette de 11 ans qui a mis au monde un enfant, suite à cette agression. Ces derniers ont été poursuivis pour « détournement de mineure » et « attentat à la pudeur sur mineure avec violence ».
La victime est, pour l’heure, prise en charge par l’association Insaf qui soutient les mères célibataires et qui a annoncé avoir déposé un appel de ce jugement le 29 mars dernier.
Selon les médias locaux, l’enfant de 11 ans a été violée à plusieurs reprises par trois adultes : un père de 3 enfants, son neveu ainsi qu’un de leurs voisins. Ces derniers ont même menacé de tuer la famille de la victime si elle racontait à qui que ce soit ce qui lui était arrivé.
Le viol n'est pas resté longtemps secret, la fillette ayant donné naissance à un enfant quelques mois plus tard, fruit de cette agression sordide, qui a déclenché les poursuites en justice et l’arrestation des trois violeurs.
Dans une lettre ouverte adressée au ministre de la Justice, la sociologue marocaine Soumaya Naamane Guessous a dénoncé « une injustice inadmissible ». Une expertise médicale par ADN a même identifié le père, jugé et emprisonné, mais nullement tenu, et de par la loi, de reconnaître l’enfant, ni de l’entretenir, précise la sociologue. Le tribunal a par ailleurs décidé que deux des accusés devaient payer à la victime 20 000 dirhams alors que le troisième lui devait 30 000 dirhams,
Pire encore, la sociologue fait savoir que la victime a affirmé que la nièce d’un des violeurs, une mineure, assistait parfois aux viols. « Pourquoi l’accusation d’attentat à la pudeur sur la personne d’une mineure n’a-t-elle pas été retenue ? A ma connaissance, un oncle et ses 2 compagnons qui violent une fillette en présence de la nièce adolescente est une atteinte à la pudeur : 2 à 5 ans d’emprisonnement (art. 484). Je me demande même si cette nièce n’a pas elle-même subi de la violence sexuelle », s'interroge-t-elle.
Près d’un an après son accouchement, la victime suit désormais sa scolarité. Elle revient dans sa famille le week-end pour s’occuper de son fils, mais devra vivre toute sa vie avec une plaie ouverte, relate Guessous qui appelle Abdellatif Ouahbi à rendre justice à la victime et à sa famille. L'enfant de la victime a également été enregistré à l’état civil, souligne Guessous dans sa lettre, et sera soutenu jusqu’à son entière autonomie.
L'opinion publique consternée
Cette « légère condamnation » a été vivement dénoncée aussi bien par la famille de la victime que par les acteurs de la société civile, et a suscité l’indignation de plusieurs défenseurs des droits humains dont l’association Jossour Forum des Femmes marocaines qui, dans un communiqué se dit « scandalisée par l’horreur qui éclabousse notre société encore une fois ». « Deux enfants victimes de 3 bourreaux et d’une justice incompétente (ou complice ?) », tonne-t-elle.
« Pourquoi une peine de deux ans de prison quand la loi prévoit jusqu’à 30 ans de réclusion pour une agression sexuelle contre un mineur ? », s'interrogent les internautes suite à ce verdict.
« Quelle société est-ce donc que la nôtre, qui piétine ainsi les droits sacrés d’une enfant à la sécurité, à l’éducation, à la justice, à la protection ? Faut-il accepter encore et encore que la loi des hommes frustes soit la nôtre ? Que ce mépris de ceux qui sont vulnérables soit la face si peu cachée de notre contrat social ? », s'indigne pour sa part, sur sa page Facebook, l’historienne et anthropologue Yasmine Chami.
« Qui sommes-nous si nous acceptons que des pédophiles ne paient pas pour leur crime, si nous tolérons qu’une enfant de douze ans porte seule le poids d’un patriarcat qui déresponsabilise les hommes de leur paternité, punit les enfants de ces pères qui se défaussent, absout les violeurs, les violents, les fossoyeurs de la dignité humaine ? », poursuit-elle.
« Comment expliquer le jugement des assassins, qui ont commis ce crime odieux, et qui n’ont écopé que de deux années alors que la loi est claire : de 10 à 30 ans pour ce genre de crime (…) Où sont les responsables, où est le ministère de la Justice, où est le ministère de la Solidarité et de la Famille ? Où sont les services compétents de ces ministère qui doivent prendre en charge ce genre de victimes ? », s’indigne à son tour l'association Jossour.
Par ailleurs, dans un communiqué publié vendredi dernier, l’Organisation des femmes socialistes déclare que ce jugement « se contredit avec les dispositions de la Constitution du Royaume de Maroc, en particulier les articles 110 et 117 relatifs à la sécurité et à l’application judiciaires ». Pour l'association, il se contredit également « avec la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, ainsi qu’avec les articles du Code pénal qui stipulent des peines allant de dix à vingt ans quand il s’agit de délits de viol sur mineur ».
Le ministre de la justice sort du silence
Face à cette consternation collective, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi condamne à son tour cette affaire. Dans une déclaration à la presse, Ouahbi s'est dit « choqué » par le récent verdict prononcé à l'encontre des trois mis en cause et a révélé que l’affaire était toujours devant la justice, le ministère public ayant fait appel du jugement.
Ouahbi a ajouté qu’il a suivi, en tant que responsable gouvernemental, cette affaire en désignant deux assistantes sociales du ministère pour accompagner l’enfant victime dans la limite des domaines de compétence de l’assistance sociale dans cet important dossier à caractère social, judiciaire et humanitaire.
Cette affaire « nous interpelle tous, à nouveau, en tant que responsables, acteurs et en tant que société civile, sur les efforts nécessaires qui doivent être renforcés et mis en œuvre au plan législatif, de la réflexion, de l’éducation et de la sensibilisation afin de protéger notre enfance, d’abord, du viol, et aussi punir sévèrement tous ceux qui commettent de tels actes sur des enfants », a-t-il dit.
« Nous sommes déterminés législativement au ministère de la Justice à rendre plus sévères les peines maximales dans le nouveau projet de code pénal, afin de protéger l’enfance contre les crimes du viol, la toxicomanie et les autres violations dont nos enfants pourraient être victimes », ajoute-t-il.
Notons que cette affaire, partie immergée de l'iceberg des viols et violences sur mineurs, intervient dans un contexte de finalisation de la réforme du Code pénal, qui verra le jour « très bientôt » selon les dires de Abdellatif Ouahbi dans un entretien accordé à Goud, et diffusé mardi dernier.
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